Far-niente
Quand je n’ai rien à faire, et qu’à peine un nuage Dans les champs bleus du ciel, flocon de laine, nage, J’aime à m’écouter vivre, et, libre de soucis, Loin des chemins poudreux, à demeurer assis Sur un moelleux tapis de fougère et de mousse, Au bord des bois touffus où la chaleur s’émousse. Là, pour tuer le temps, j’observe la fourmi Qui, pensant au retour de l’hiver ennemi, Pour son grenier dérobe un grain d’orge à la gerbe, Le puceron qui grimpe et se pende au brin d’herbe, La chenille traînant ses anneaux veloutés, La limace baveuse aux sillons argentés, Et le frais papillon qui de fleurs en fleurs vole. Ensuite je regarde, amusement frivole, La lumière brisant dans chacun de mes cils, Palissade opposée à ses rayons subtils, Les sept couleurs du prisme, ou le duvet qui flotte En l’air, comme sur l’onde un vaisseau sans pilote ; Et lorsque je suis las je me laisse endormir, Au murmure de l’eau qu’un caillou fait gémir, Ou j’écoute chanter près de moi la fauvette, Et là-haut dans l’azur gazouiller l’alouette.
Théophile Gautier, Premières Poésies
La biographie de Emile Verhaeren
Poète belge flamand d’expression française, Emile Verhaeren naît le 21 mai 1855 à Saint-Armand, en Belgique. Issu d’une famille aisée francophone, il fréquente le collège jésuite de Sainte-Barbe, puis l’Université de Louvain, où il étudie le droit. Sa formation achevée, Emile Verhaeren part faire son stage d’avocat à Bruxelles auprès d’Edmond Picard, dont l’influence l’oriente vers la littérature et l’amène à renoncer au barreau.
Oh ! ce bonheur
Oh ! ce bonheur Si rare et si frêle parfois Qu'il nous fait peur
Nous avons beau taire nos voix Et nous faire comme une tente, Avec toute ta chevelure, Pour nous créer un abri sûr, Souvent l'angoisse en nos âmes fermente.
Mais notre amour étant comme un ange à genoux Prie et supplie Que l'avenir donne à d'autres que nous Même tendresse et même vie, Pour que leur sort, de notre sort, ne soit jaloux.
Et puis, aux jours mauvais, quand les grands soirs Illimitent, jusques au ciel, le désespoir, Nous demandons pardon à la nuit qui s'enflamme De la douceur de notre âme.